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La figue de Figueras

La figue de Figueras

Une figue bien ronde, bien pulpeuse

La figue de Figueras

Une figue… Je suis une figue. Une belle figue dit-on, bien ronde, bien roulée, bien pulpeuse… Tout droit sortie d’un rêve, d’un délire culinaire à la Salvador Dali : « La figue de Figueras » !

Mon figuier m’a lâchée, lâchement abandonnée, et j’ai longtemps roulé de l’autre côté du mur de mon jardin ombragé. Je suis restée un long moment seule, sur le pavé, abandonnée aux rayons du soleil qui me brûlaient la peau. Ma peau douce et délicate de figue fraîche. Je me déshydratais, et me voyais déjà finir, comme beaucoup d’autres, en figue séchée.
Mon esprit divaguait. Cette chaleur torride me transportait de pays chaud en pays chaud. Semi-consciente, je voyageais.

C’est ainsi que je suis arrivée en Afrique du Nord, où j’évoque à tel point la bourse de ces messieurs que l’on ne m’appelle même plus par mon nom, mais par celui de la saison où j’apparais, où je mûris et m’épanouis : l’automne. Alors on m’appelle Khrif ! Et pourtant, si les hommes savaient comme je suis riche pour leur liqueur séminale, ils m’appelleraient sûrement plus tendrement. Chérie, peut-être… Et pourquoi pas ? On peut rêver, non ?
Je poursuivais mon voyage onirique, quand me voilà rendue en Inde, perchée sur une branche d’un imposant figuier des pagodes : le Pipal. Appelé aussi Ficus Religiosa. Comme j’arborais un sourire radieux, pendue à ce figuier perpétuel, Bouddha en personne vint s’asseoir sous ma branche. Le Pipal était l’arbre favori sous lequel il aimait se placer pour enseigner à ses disciples. Rien d’étonnant quand on sait que, là-bas, il symbolise la vie, la puissance, la longévité, la connaissance supérieure… Comme le sage se recueillait, j’admirais son calme et sa sérénité. C’est alors que cherchant à m’approcher pour mieux le contempler – tout comme la pomme de Newton – avec la maladresse qui me caractérise, je suis tombée sur la tête du grand Bouddha, répandant autour de lui mes graines innombrables. Mais, loin de le chagriner, cet incident semblait lui apporter le bien-être suprême.
C’est à ce moment que je repris connaissance. J’étais bel et bien tombée. Non pas sur la tête du sage Gautama, mais sur le pavé de Solliès-Pont, mon village d’origine, en Provence, dans la Vallée du Gapeau. La chaleur qui m’avait fait divaguer s’était dissipée. Seule. J’étais toute seule… Ici, ailleurs ou nulle part, quand on est seul peu importe l’endroit si l’on est à l’envers. J’espérais qu’une chaussure passerait par là, pour abréger ma douleur, et je me suis figée en attendant mon heure. Eh oui ! Je suis une figue. Chassez le « u », et voilà, je me fige !

La fête de la Figue

Finalement, ce n’est pas un homme qui est venu me bousculer, mais un gracieux volatile : un tout petit papillon aux couleurs flamboyantes. Il tournait autour de moi depuis un moment, quand doucement il me susurra à l’oreille :
– « Oh ! Pitchounette ! Ca va être ta fête ! »
En effet, c’était la Fête de la Figue, la toute première dans mon village. Délicatement, le minuscule insecte ailé est venu se glisser à l’intérieur de ma chambre charnue. Oui, parce que je ne suis pas comme tout le monde, moi… Ma beauté est cachée ! Ma fleur est à l’intérieur ! Et lui, cet insecte pollinisateur – qui n’avait, je dois vous l’avouer, rien de ces majestueux papillons que j’avais déjà surpris en train de virevolter autour de moi – lui, avec son air de rien, a su aller chercher au plus profond de moi. Et cependant qu’il me chatouillait, je frémissais et reprenais goût à la vie. Une sensation nouvelle m’envahissait. Ma flore intérieure se transformait. Ma couleur verte, passait du bleu au rouge pour devenir violine. Ma chair se gorgeait de sucre. Ronde et savoureuse, j’étais devenue un fruit !
Son travail achevé, le papillon s’en est allé, me laissant de nouveau seule, avec mes idées. Mais cette fois-ci, elles n’étaient plus noires. Je n’étais plus malheureuse et je ne voulais plus mourir, bien au contraire. J’arrivais à maturation, et je me sentais prête à affronter la vie, à la dévorer à pleines dents. C’est donc en méditant sur cette aventure qui faisait déjà partie de mon passé, que l’homme que j’attendais quelques instants auparavant pour me piétiner est arrivé. Mais je ne voulais plus mourir, alors affichant mon plus beau sourire, d’un ton suppliant je lui ai dit :
– « S’il vous plaît, Monsieur, ne m’écrasez pas ! Regardez-moi, plutôt… Je ne suis pas une figue ! Je suis une fille ! Et si vous voulez voir mon visage, rajoutez-moi un « r », un petit air de rien, mi-figue, mi-raisin, et je vous montrerai peut-être ma figure »
L’homme, tout d’abord un peu surpris, s’est penché sur moi, l’air décontenancé, croyant qu’il hallucinait. Puis, il m’a ramassé et s’est mis à me caresser. Je prenais cela pour un geste tendre, et me taisais en savourant son étreinte, mais on ne change pas sa destinée. Il ne faisait que m’essuyer avant de me croquer.

La fille de Figueras

Jeune fille de Figueras, tableau de Salvador Dali
Jeune Fille de Figueres, Dali, 1926

La figue de Figueras n’existe pas, mais La fille de Figueras, celle-là, oui, elle existe ! Quelque part, dans un musée, on peut la contempler. Dali l’a figée à tout jamais dans l’immortalité de son œuvre. Peut-être l’a-t’il rencontrée, peut-être l’a-t’il aimée, peut-être l’a-t’il imaginée… Tout comme j’avais imaginé qu’il était plus facile d’être une figue que d’être une fille. Mais je me rends compte, aujourd’hui, que je m’étais trompée. Il y a toujours quelqu’un qui nous lâche. Alors, finalement, mieux vaut être lâchée par son homme que par son figuier : c’est plus facile d’en changer !

Mon homme m’a lâchée après m’avoir goulûment dévorée. On me dit séduisante, il me trouvait trop ronde… S’il n’a pas su apprécier mes richesses intérieures, d’autres y trouveront sans doute le meilleur de moi-même. Quoiqu’il en soit, une chose est sûre, mieux vaut rester à sa place que de se prendre pour ce que l’on est pas. Cherchant à être une femme, ma figue s’est faite mangée, cherchant à être une figue, j’aurais pu tomber bien bas… Alors, oui ! Je suis une fille ! Une belle fille, dit-on ! Bien ronde, bien roulée, bien pulpeuse… Et j’espère au moins ne pas être punie pour avoir voulu goûter le fruit défendu, celui de la connaissance : la pomme !? En sommes-nous bien sûrs ? C’était sûrement une figue !

Agathe Turquois
Septembre 1997

[A l’origine, ce texte fut écrit pour être mis en scène, et animer le défilé de mode d’une amie styliste, Caroline Bonnet, lors la Fête de la Figue, à Solliès-Pont, en août 1997. Plusieurs amis artistes peintres avaient participé à l’événement et peint des toiles avec lesquelles Kako (Caroline) avait réalisé plusieurs vêtements. De sublimes pièces uniques, comme elle a coutume d’en confectionner !
Ce jour-là, certaines personnes encouragèrent ma plume, et m’incitèrent à participer à un concours de la nouvelle qui se bouclait quinze jours plus tard. Le temps étant compté, plutôt que de me lancer dans un nouveau projet, j’ai tenté d’apporter quelques modifications au texte original pour en faire une nouvelle. L’exercice était fastidieux ! On n’écrit pas de la même façon un texte voué à être mis en scène et un texte voué à être lu. Par ailleurs, si j’étais déjà adepte du genre (Stefan Sweig, Anaïs Nin…), je ne connaissais encore rien à l’art de l’écriture, encore moins à celui de la nouvelle. Il me fallut tout réécrire et, finalement, ce texte est bien plus proche de la fable que du genre initialement visé.
Égarée pendant plusieurs années, c’est avec beaucoup d’émotions que je suis retombée sur cette précieuse figue, la semaine dernière, en vidant quelques cartons dans lesquels se trouvaient également plusieurs textes de théâtre dont celui que je présentais la même année au Festival d’Avignon, Madame Marguerite, un monologue de Roberto Athayde. A cette époque, le théâtre était le moteur de mon existence mais, fatiguée de galérer, je m’étais vidée de toute mon essence. J’avais besoin de faire un break. J’y reviendrai plus tard, pensais-je, et l’écriture prendrait le relais quelques temps… Les années filent, et plus de vingt ans après, ce break est encore de mise. Comme la boîte de Pandore, ce carton réouvert fait resurgir en moi de violentes passions ensevelies…]

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