Vous êtes ici
Accueil > A la Une > Ecrire, comme un état d’urgence !
Ecrire, comme un état d’urgence !

Ecrire, comme un état d’urgence !

Ecrire, comme un état d’urgence !

Ecrire…
D’où me vient ce désir irrépressible ?
Il n’est pas nécessaire de réfléchir très longtemps à la chose pour remonter au premier instant où j’en ai ressenti l’urgence.

J’ai toujours aimé les mots. Les prononcer, d’abord, avant de les écrire.
Il semble que j’ai parlé très tôt. Et l’un des premiers mots que j’ai articulé -après « maman » sans doute – était le mot « carotte ». Comme une rengaine : « des carottes, des carottes, des carottes… »
Je venais de passer du lait maternel à une nourriture plus variée, et j’adorais les carottes. J’avais vite compris qu’il fallait savoir formuler ses désirs pour mieux les satisfaire. Alors j’ai intégré de nouveaux mots à mon babillage. Il me fallait comprendre et être comprise du monde des adultes. Je voulais jouer dans la cour des grands !

Vint ensuite l’âge d’entrer à l’école. Un peu en avance. Puis celui d’apprendre à lire et à écrire. J’étais une enfant soignée et appliquée. J’aimais dessiner ces lettres qui font des mots, puis des phrases dont on fait des paragraphes, qui à leur tour font des histoires.
J’ai aussi très vite aimé lire, bien sûr. Me laisser porter par le voyage des mots. Mais la Bibliothèque Rose et le Club des Cinq que proposait le bibliobus scolaire ne m’emballaient guère. Et, dans nos campagnes profondes, les bibliothèques personnelles n’étaient pas très garnies, voire inexistantes : « les livres c’est tout juste bon pour les feignasses ! »
Je me contentais donc de ce que j’avais sous la main. A l’époque, je n’étais pas encore une grande lectrice. C’est un peu plus tard que je me suis plongée dans la littérature.

A l’âge où l’on apprend l’orthographe et la conjugaison, ma mère fut prise par le démon de midi. Midi moins le quart, peut-être ! Emportée par un grand vent de liberté, elle s’est éclipsée un moment de ma vie. Moment qui me sembla une éternité. Alors c’est à ma grand-mère paternelle que je dois ma grammaire.
C’était une femme rustique. Une femme de ferme. Une femme de poigne ! Une femme ferme aux mains rudes… Si sa vie était prédestinée depuis sa naissance aux tâches agricoles, elle avait néanmoins fréquenté les bancs de l’école avec brio jusqu’à obtention de son certificat d’études. Ses méthodes, à l’ancienne, ne toléraient pas la moindre erreur. Pas question de laisser passer une faute d’accord ! Il ne s’agissait pas de coups de règle sur les doigts, non ! Mais sa main, en l’air, prête à rejaillir sur ma joue suffisait à me faire rectifier immédiatement le tir quand il m’arrivait de me tromper.
Ma plume, aujourd’hui, n’est sûrement pas parfaite, mais elle sait se montrer pointilleuse, rigoureuse. Et c’est à cette grand-mère que je dois cette qualité. Merci mamie !

Cependant, avoir une vraie rigueur dans la forme ne fait pas de nous un auteur pour autant, non ! Il faut encore avoir des choses à dire, à raconter… Quelques pensées lancinantes à exorciser…
Ces premiers élans, c’est sur la barque de mon grand-père maternel que je les ai ressentis. Je devais avoir 8 ou 9 ans
Ma mère était partie, donc… et elle était mes amarres !
Moi je n’avais pas bougé, mais je me sentais déracinée. Je n’avais plus d’ancrage. Je flottais comme une branche cassée se laisse porter par les méandres d’une rivière.
Mon grand-père était pêcheur, non pas devant l’éternel, mais à ses heures perdues. Alors, sur cette barque, bien ancrée sur la Vienne, il s’agissait de ne surtout pas faire de remous.
Ne pas parler. Ne pas bouger !
J’en avais des choses à exprimer pourtant, déjà… Et tellement de questions à poser.  Mais j’adorais mon papy ; je ne voulais pas le décevoir.
Alors je prenais un crayon, un p’tit carnet… Que consignais-je dedans ? Je n’en ai aucune trace. J’ai d’ailleurs longtemps jeté tout ce que j’écrivais. Et ces souvenirs sont très flous…
M’essayais-je à la poésie ? Ce n’est pas impossible. Ronsard était déjà de mes amis !
A moins qu’il ne se fût agi de quelques aphorismes à propos de la vie ? Un peu jeune pour cela, me direz-vous… Des assertions ou des questionnements de première jeunesse, tout au plus !
Dans cette nature luxuriante, aux abords de Chinon, j’interrogeais l’univers sur le sens de l’existence. Qu’importe la forme, j’avais l’ivresse d’écrire !
Mon cœur était écorché. Mon âme mélancolique avait besoin de s’épancher sur du papier.
Sans cela, il n’est pas impossible que je me sois penchée par-dessus bord.
Non pas pour me noyer, non… Je tenais bien trop à la vie. Pour crier ma détresse ! Appeler au secours…
Mais il me fallait rester calme. Ne pas bouger et me taire. Rester à ma place d’enfant. Bien sage !
Mon imagination me porte à croire, en y songeant aujourd’hui, que si je n’ai pas retrouvé ces écrits, c’est qu’à défaut de pouvoir poser ces questions à mon grand-père, je les envoyais à la rivière. J’arrachais les feuilles du carnet, les froissais, et les jetais en boule comme de l’appât, dans l’espoir que des réponses me reviennent un jour, sur mon chemin de vie, le long de quelques rives.

L’écriture s’est donc d’abord imposée à moi comme un état d’urgence. Ce fut longtemps un exutoire.
Bien plus tard, après avoir été quelques années comédienne et avoir exercé différents métiers pour alimenter une vie de saltimbanque aux revenus aléatoires, le hasard des rencontres m’a offert la possibilité de devenir journaliste de presse écrite, à Marrakech.
Là, j’ai appris, de manière autodidacte, à structurer mes écrits et à parler d’autre chose que de moi et de mes ressentis. Raconter les autres me permettait de prendre de la distance, de me sentir moins impactée. C’est tellement plus confortable.
Pourtant, c’est ce même état d’urgence que je ressens, encore, chaque fois qu’il m’arrive de prendre la plume. Que ce soit pour un article de presse, un poème, une chanson, une humeur, ou les bribes d’un roman depuis bien trop longtemps entamé…
Urgence exacerbée par la quête de trouver le mot juste pour exprimer au mieux ce que l’on a à dire. Urgence de parvenir au mot « fin » et d’obtenir ainsi une sorte de délivrance.
Un peu comme une transe. Il s’agit même, parfois, d’un merveilleux état de grâce. Dans ce cas, quelle embellie ! D’une fluidité sans entrave. Chaque mot entraînant l’autre. Portée, du premier au dernier, par ce drôle d’état.
Un état bien plus facile à maîtriser quand le texte se veut court que lorsqu’il s’agit d’un grand format.
D’où la difficulté, parfois, de parvenir au point final. Parce que l’urgence se fait moins vive, reléguée par une autre, plus urgente.

Travailler à la commande nous oblige à terminer un texte dans un certain délai, ce qui n’est pas le cas des écrits personnels qui nous portent trop souvent au doute et à la procrastination. Alors la flamme qui nous anime s’amenuise. On referme le cahier, puis on oublie de le rouvrir, laissant inachevée l’œuvre de toute une vie, peut-être…
Au fond de vous, vous savez qu’il ne tiendrait à rien de raviver cette flamme. L’odeur des cendres froides vous rappelle sans cesse à l’ouvrage. Et vous cherchez le combustible qui vous permettrait de raviver quelques braises incandescentes pour faire rejaillir le feu qui vous animait quand vous lâchiez les premiers jets.

Parce que le désir est toujours bien vivace. Parce que rien n’est aussi exaltant que d’écrire. Parce que rien n’est aussi essentiel que d’aller au bout de ce que l’on a démarré… Comme on viendrait – avant de tomber en panne sèche – faire le plein d’essence dans une station-service, sans savoir si c’est du diesel ou du sans plomb qu’il faut à notre véhicule, c’est bel et bien un peu de combustible que je viens chercher dans cette Masterclass !

 

[Dixit Erwan Larher, un auteur que j’affectionne particulièrement et auquel j’avais consacré un article sur mon blog : « Ecrire. C’est comme vomir un soir de cuite : un acte irrépressible, désagréable, dont en même temps on espère un soulagement ». C’est exactement mon ressenti ! Lui est allé au bout de huit romans ! Alors, j’encourage tous ceux qui, ici, liront ce texte, à ne pas hésiter à soulager leurs nausées… Mais avec un tant soit peu d’élégance, c’est préférable !
Et si vous ne connaissez pas encore cet auteur, son dernier ouvrage, Indésirable, se trouve actuellement sur tous les étals des librairies de choix, ainsi que L’abandon du mâle en milieu hostile, fraîchement réédité en Poche. Un petit coup de pouce, ça ne mange pas de pain !]

 

 

Agathe Turquois/Aix-en-Provence/12 mai 2021
Masterclass The Artist Academy, Eric-Emmanuel Schmitt/Exercice 1

https://www.agathe-turquois.com/larticle-que-je-ne-voulais-pas-ecrire/

Partager cet article :

Laisser un commentaire

Top